Nucléaire et hydrogène rose : l’Espagne met en garde la France !

publié le 29/05/2023 à 09h42 | mis à jour le 20/06/2023 à 17h04 | par Johann Sonneck

La question de l’hydrogène divise la France, l’Espagne et toute l’Europe

L’hydrogène est un gaz inodore et incolore, considéré par beaucoup comme une ressource quasi inépuisable sur Terre. Selon le CNRS, il est aussi « trois fois plus performant que les combustibles fossiles ». Il pourrait donc jouer un rôle majeur dans la transition énergétique dans laquelle la France et l’Europe entière sont lancées.

Pourquoi alors une telle discorde à ce sujet entre la France et l’Espagne ? Aujourd’hui, selon son niveau de « propreté », l’hydrogène peut être dit vert, rose, bleu, gris et plus encore. Des scientifiques américains étudient même en ce moment des gisements d’hydrogène « blanc ». C’est pourtant bien le sujet de l’hydrogène dit « rose » qui fâche actuellement le gouvernement espagnol et son chef, Pedro Sánchez. Pour quelle raison ? Ce gaz, appelé aussi parfois hydrogène « jaune » et alternative aux énergies fossiles, est d’origine nucléaire. Et la France, qui profite de l’aide espagnole en matière d’alimentation de son réseau électrique, entend développer la production de ce type d’hydrogène.

Néanmoins, le gouvernement espagnol refuse de combler le déficit énergétique français pour lui permettre de produire de l’hydrogène rose. Le 17 mai 2023, c’est donc un avertissement loin d’être anodin qui a été lancé de l’autre côté des Pyrénées. Celui-ci est venu de la ministre espagnole de la Transition énergétique, Teresa Ribera. Cette dernière a affirmé que « nous ne sommes pas disposés à compenser [sa] demande d’électricité domestique si [la France] utilise ses centrales [nucléaires] pour produire de l’hydrogène ». Dans ce même entretien accordé à l’agence de presse Reuters, la ministre a également jugé que « ce serait de la folie ».

Cette mise en garde révèle à quel point les relations sont actuellement tendues entre la France, l’Espagne, mais aussi tous les pays de l’Union européenne (UE). Ce qui cristallise ces tensions : la question de l’hydrogène et de l’énergie nucléaire sur le continent. Le domaine énergétique est en fait l’objet d’une bataille diplomatique d’envergure à Bruxelles. Depuis le début de 2023, deux groupes se sont ainsi formés parmi les 27 États membres :

• l’« Alliance du nucléaire », créée à l’initiative de la France et rassemblant 14 pays. Ce « camp » souhaite donner plus de place au nucléaire sur le continent ;
• les « Amis du renouvelable », initié par l’Autriche et dont font partie 10 pays. On retrouve notamment l’Allemagne, mais aussi les pays ibériques comme le Portugal et, bien sûr, l’Espagne.

Ce deuxième groupe a pour ambition de réaliser la transition énergétique européenne en priorisant l’utilisation des énergies renouvelables (EnR).

Hydrogène rose contre hydrogène vert

Cette question du nucléaire et de l’hydrogène divise donc profondément l’UE et fracture aussi actuellement le couple franco-allemand. D’ailleurs, alors que la France manœuvre pour que l’énergie atomique se renforce en Europe, l’Allemagne vient récemment de sortir définitivement du nucléaire.

Depuis des mois, le gouvernement français désire faire accepter le fait que l’hydrogène rose, d’origine nucléaire, soit placé sur un pied d’égalité avec l’hydrogène vert. Ce second type d’hydrogène est plus vertueux pour l’environnement puisqu’il est produit à partir d’électricité d’origine renouvelable, comme :

• l’énergie solaire ;
• l’énergie éolienne.

En considérant l’hydrogène issu du nucléaire comme l’égal du vert, cela serait très avantageux… pour le gouvernement français. En effet, le bilan 2022 indique que la France est (encore) loin du compte en matière de développement des énergies renouvelables. Cette classification lui permettrait ainsi de se donner enfin les moyens de tenir ses engagements en matière de transition énergétique.

L’enjeu de la catégorisation de l’hydrogène rose est de taille. Les objectifs européens en matière de carburants pour différents secteurs, ainsi que leurs réglementations et les subventions qui suivent, dépendent effectivement de cette décision. Par exemple, les pays de l’Union envisagent actuellement de fixer à 60 % le taux d’hydrogène vert utilisé par l’industrie à l’horizon 2035. Pour la France, il serait bien plus facile de tenir cet engagement si l’hydrogène d’origine nucléaire est intégré dans la même catégorie que le vert.

En février 2023, la Commission européenne a d’ailleurs accepté d’ouvrir la porte à l’hydrogène classé vert produit à partir d’un mix électrique comportant du nucléaire… Cependant, pour certains pays européens, dont l’Espagne, c’est un point qui n’est nullement envisageable. « Nous n’acceptons pas que l’hydrogène rose soit considéré comme vert », a martelé la ministre espagnole de la Transition énergétique. Teresa Ribera a aussi rappelé les efforts réalisés par Madrid en 2022 lorsque le risque de coupures d’électricité et de délestages était élevé en France.

L’Espagne menace de couper le courant à la France

En effet, l’année dernière, l’immobilisation prolongée de nombreux réacteurs nucléaires français pour des travaux de maintenance avait gravement impacté la production électrique nationale.

La France avait alors fait appel à l’aide de ses voisins pour alimenter son réseau électrique. Parmi eux, l’Espagne lui a envoyé 9 térawattheures (TWh) d’électricité en 2022. Cela a d’ailleurs permis au pays d’atteindre un solde positif, pour la première fois depuis 2010.

« Nous avons été contraints d’exporter au maximum de nos capacités, en produisant de l’électricité au-delà de nos capacités en matière d’énergies renouvelables, et donc en utilisant plus de gaz que nous ne l’aurions souhaité ». Voilà ce qu’a souligné Teresa Ribera, regrettant à demi-mot le recours aux énergies fossiles en 2022 dans le but d’aider son voisin français et ses habitants.

Ces efforts et cette solidarité espagnole à la France en 2022 ne sont donc plus forcément de mise en 2023. Si notre pays utilise l’avitaillement envoyé depuis Madrid pour l’utiliser à la production d’hydrogène d’origine nucléaire, alors l’Espagne menace de cesser son aide. Les conséquences d’une telle décision ne sont pas à sous-estimer. En effet, selon l’Express, une quinzaine de réacteurs nucléaires français, sur les 56 existants, sont encore hors service aujourd’hui. EDF connaît effectivement toujours des problèmes de fissure et de corrosion sous contrainte en 2023. La France pourrait-elle faire face à la demande énergétique en cas d’arrêt des livraisons espagnoles ? Il ne faudrait pas que l’entêtement du gouvernement français tende encore davantage ses relations avec ses voisins et déclenche une nouvelle crise énergétique. Ce seraient ses habitants et ses entreprises qui en paieraient (encore) les conséquences.

Que vous soyez en faveur de l’hydrogène rose, de l’hydrogène vert ou des deux, un élément reste important. Chacun a le droit et la liberté de changer de fournisseur de gaz et d’électricité s’il le souhaite. C’est votre cas ? Alors pensez à aller consulter le Comparateur Énergie de Choisir.com. Grâce à lui, vous aurez accès à toutes les informations nécessaires pour y voir clair. Vous pourrez alors facilement choisir une nouvelle offre qui vous conviendra pleinement.