Rénovation énergétique : isoler n’est pas gagner ?

Voilà un rapport choc qui interpelle et ne va pas manquer de faire réagir. Celui-ci provient du Conseil d’analyse économique (CAE). Son étude démontre que la différence de consommation entre un logement performant, bien isolé, et une passoire thermique est 6 fois plus faible que prévu ! Alors que la politique de rénovation énergétique prônée par le gouvernement veut avant tout s’attaquer à l’isolation des logements, comment expliquer une telle différence ? Quels enseignements sont à tirer de cette étude ? Choisir.com vous répond.

isolation toiture

Une étude du CAE remet en cause la politique de rénovation énergétique du gouvernement

Le CAE, Conseil d’analyse économique, forme un institut d’étude réputé et reconnu rattaché à Matignon. En janvier, il a justement publié un rapport intitulé « Performance énergétique du logement et consommation d’énergie : les enseignements des données bancaires ». Ce dernier a donc été réalisé grâce aux données bancaires fournies par le Crédit Mutuel Alliance Générale. Sur la base de 180 logements étudiés, il a ainsi pu comparer :

Avec cette conclusion surprenante : l’observation d’un écart immense entre les deux. En fait, les auteurs de l’étude ont bien relevé un lien croissant entre :

  • les dépenses des clients du Crédit Mutuel ;
  • leur consommation énergétique ;
  • et la classe de performance établie par le DPE.

Cependant, cette relation est bien moins importante que prévu par ce diagnostic. De plus, pour les grands logements, elle s’estompe même. Ainsi, le CAE rapporte que la différence de consommation d’énergie au mètre carré « est six fois plus faible que celle prédite par le DPE » entre :

Cette très forte différence entre les faits et la prédiction remet en cause, encore une fois, la pertinence et l’efficacité de ce document. Ce manque supposé (ou avéré ?) de fiabilité est d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent que de multiples acteurs souhaitent (encore) modifier le DPE. Le tout, tandis qu’il a déjà fait l’objet d’une réforme en mars 2023. Ce diagnostic avait alors évolué dans une volonté de sanctionner les logements les plus énergivores.

Toutefois, cette étude du CAE n’entache pas que le DPE, mais aussi la stratégie française pour remplir ses objectifs de neutralité carbone pour 2050. Pour tendre vers cette indispensable transition écologique, l’un des axes essentiels du gouvernement est la rénovation énergétique des bâtiments, prioritairement par leur isolation. Dans ce domaine, l’exécutif a prévu une enveloppe de 11,2 milliards d’euros pour cette année 2024. Voilà pourquoi le média Le Point fait remarquer que l’étude du CAE est un « rapport explosif ». Un véritable « pavé dans la mare » qui pose cette simple question : et si le gouvernement faisait fausse route ?

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Pour les ménages, le choix du confort plutôt que de la sobriété énergétique

En réalité, l’étude du CAE indique que les ménages des logements les moins énergivores dépensent presque deux fois plus d’énergie que prévu. Au contraire, ceux résidant dans des passoires énergétiques en consomment deux fois moins. Les auteurs relèvent donc que moins l’habitation est performante, « plus ses occupants auront tendance à limiter leur consommation par rapport à leur consommation théorique ». Cette attitude s’explique « par un effort de sobriété » motivé par le nécessaire respect de leur budget restreint. En conséquence, on ne se chauffe pas beaucoup plus dans un logement qui est moins bien isolé. En ce qui concerne les maisons individuelles, un chiffre est d’ailleurs saisissant. Celles qui sont les moins efficaces énergétiquement ne consomment en réalité que 27 % de plus que les mieux classées du parc !

Par contre, dans le sens inverse, la tendance des ménages résidant dans des habitations performantes est plutôt de « consommer au-delà de la consommation théorique ». Pour expliquer cela, les auteurs parlent d’« effet rebond ».

Que conclut le CAE de ces diverses observations ? Il pointe déjà du doigt des erreurs de mesure lors de la réalisation des DPE. Le rapport indique que ces derniers forment la « boussole de la politique de rénovation énergétique ». Pourtant, deux diagnostics portant sur un même logement aboutissent bien souvent à des résultats et des classements différents, d’où les nombreuses critiques à son propos.

Pour autant, les économistes voient une autre principale cause à ce décalage. Ils indiquent bien que « la rénovation permet d’améliorer la qualité énergétique des bâtiments, avec des bénéfices importants en matière de confort énergétique et de santé ». Toutefois, « la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) associées dépend étroitement de la façon dont les ménages ajustent leur consommation à la suite de ces rénovations ». Autrement dit, les facteurs comportementaux sont la cause principale de cet écart immense entre la théorie et la réalité. Les foyers font le choix du confort plutôt que de la sobriété énergétique en se chauffant moins.

De ce fait, l’investissement énorme que s’apprête à réaliser la France pour réduire l’impact carbone du secteur du logement et renforcer son indépendance énergétique sera-t-il efficace ? Le rapport du CAE montre clairement que non.

Prioriser l’installation de modes de chauffage décarbonés plutôt que l’isolation des logements pour réduire leur impact carbone ?

Pourtant, un rapport parlementaire récent a préconisé de tripler les dépenses liées à la rénovation énergétique. Le moyen choisi : mettre l’accent sur l’isolation des bâtiments plus que sur l’installation de sources de chauffage décarboné, à l’électricité par exemple. Au regard de l’étude du CAE, l’efficacité de la politique de rénovation prônée par le gouvernement, en termes de baisse des émissions, est donc plus que douteuse. La dernière réforme du DPE interdira la location des biens les plus énergivores et mal isolés, classés F et G, dès 2025. Cependant, certains craignent que cette mesure, au lieu d’être un levier positif, aggrave en réalité la crise du logement en :

  • compliquant l’accès au logement des ménages les plus modestes ;
  • aggravant la pénurie de logements ;
  • entraînant une hausse des loyers.

Ailleurs en Europe, ce défaut d’ajustement entre la consommation théorique et réelle des habitations a d’ailleurs déjà été relevé. Entre 2010 et 2018, l’Allemagne a ainsi déboursé près de 341 milliards d’euros, environ 40 milliards par an, pour réaliser l’isolation et la rénovation énergétique de ses logements. Pourtant… leur consommation n’a pas diminué.

Au contraire, trois pays nordiques sont parvenus, entre 1990 et 2020, à faire chuter de façon spectaculaire leurs émissions de GES liées au chauffage. Cette baisse s’est chiffrée à :

  • 72 % en Finlande ;
  • 83 % en Norvège ;
  • 92 % en Suède !

Formidables résultats, mais qui n’ont donc rien à voir avec l’isolation des logements. Ils ont été obtenus par l’instauration d’une taxe carbone, pénalisant par exemple le chauffage au fioul. En conséquence, énormément de ménages se sont équipés en pompes à chaleur (PAC), alimentées par une électricité produite grâce à :

Un exemple qu’il serait tout à fait possible de suivre en France, du fait de ses importantes capacités de productions décarbonées basées sur le nucléaire et les renouvelables. En comparaison avec l’Allemagne, chaque kilowattheure (kWh) d’électricité produite dans l’Hexagone n’a généré :

  • que 48 grammes de GES ;
  • contre 416 grammes outre-Rhin !

Le constat est donc finalement clair et sans appel. Cette importante différence implique que les émissions carbone sont deux fois moins élevées entre :

  • un logement français moyennement isolé, consommant 150 kWh par mètre carré et par an ;
  • et un logement passif allemand consommant trois fois moins d’énergie !

Ces exemples et ces chiffres le prouvent donc. Pour décarboner le secteur du logement, le passage à des modes de chauffage décarbonés est bien plus efficace que de penser avant tout à l’isoler. Des aides existent d’ailleurs pour l’installation de PAC, et celles-ci sont même en hausse cette année avec les nouveautés 2024 de MaPrimeRénov’. Néanmoins, les prix très élevés de l’électricité, qui augmentent encore de 8,6 % et 9,8 % au 1er février, empêchent beaucoup de foyers de passer le pas.

Ceux-ci agissent de manière logique en composant avec les contraintes de leur budget. Voilà pourquoi ils se dirigent vers :

  • l’énergie la moins chère ;
  • les solutions les plus simples et efficaces.

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Face à cette étude du CAE, les pouvoirs publics seraient donc bien inspirés de changer enfin leur fusil d’épaule pour que rénovation énergétique rime bien, en 2050, avec neutralité carbone. À défaut de rendre l’électricité décarbonée compétitive et attractive, il y a fort à craindre que les milliards engagés ne soient dilapidés « pour rien ». Ce serait une faute climatique autant que politique.

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