Nucléaire : la fusion de l’ASN et de l’IRSN adoptée par le Sénat
Le Sénat vient d’adopter le projet de loi du gouvernement visant à fusionner l’ASN et l’IRSN, deux acteurs essentiels de la sécurité du secteur atomique. Très critiquée par beaucoup d’observateurs et d’experts, non désirée par les salariés, cette fusion pourrait, à leurs yeux, représenter un risque pour la sûreté nucléaire. Choisir.com fait le point sur cette décision qui devra, désormais, être validée par l’Assemblée nationale.

Les sénateurs entérinent la réforme de la sûreté nucléaire avec la fusion programmée de l’ASN et de l’IRSN
Le 13 février, le Sénat a approuvé la fusion de deux entités importantes concernant la sécurité nucléaire, à savoir :
- l’ASN, l’Autorité de sûreté nucléaire, gendarme du secteur ;
- l’IRSN, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, expert public et organe de recherche dans ce domaine.
Il s’agit en réalité là d’un souhait de longue date porté par le gouvernement. En mars 2023, il avait déjà, sans succès, tenté de faire voter aux députés un amendement pour donner naissance à cette fusion. En 2024, c’est donc par un projet de loi déposé devant les sénateurs qu’il a réussi à ouvrir la porte à cette possibilité. Ce sera désormais à l’Assemblée nationale de se prononcer à ce sujet pour que cette fusion soit définitivement scellée.
En attendant, c’est en tout cas une avancée majeure vers la refonte de la gouvernance des risques nucléaires et radiologiques en France. Cette proposition de l’exécutif a en réalité fait l’objet de deux votes bien distincts. Chacun d’eux a récolté 14 abstentions et :
- pour le premier, 228 voix pour, 98 contre ;
- pour le deuxième, 222 voix pour, 97 contre.
Ce plan de fusion désiré par le gouvernement prend place dans le mouvement de relance de l’énergie nucléaire, porté par l’Élysée. Celui-ci s’est concrétisé par :
- la nouvelle loi d’accélération du nucléaire adoptée en mai 2023. Elle prévoit la construction de six réacteurs nucléaires nouvelle génération (les EPR2), auxquels pourraient s’ajouter huit autres en option ;
- la volonté de l’État de prolonger les réacteurs après 60 ans, possibilité qui est encore à l’étude et reste à valider ;
- la forte action tricolore au niveau de l’Union européenne. La France a effectivement été à l’origine de la formation d’un groupe de pays favorables au déploiement de l’atome sur le continent, l’Alliance du nucléaire.
Il s’agissait d’un « texte crucial » en vue de la transition énergétique, toujours plus cruciale à mener. Voilà l’avis de Christophe Béchu, ministre de la Transition énergétique. Le but recherché : « réduire les complexités d’interfaces inhérentes à l’existence de deux entités ». En clair : simplifier, fluidifier et rendre plus aisées et rapides les prises de décision autour de la question primordiale de la sécurité nucléaire.
Une fusion qui faisait l’objet de nombreuses oppositions
Adopté grâce aux suffrages de la majorité présidentielle, entre le centre et la droite, le texte a été ouvertement critiqué par les sénateurs de gauche. Ils se sont ainsi fait les porte-voix des associations de défense de l’environnement comme des salariés et agents concernés, opposés à cette fusion. Quelques jours avant, plusieurs centaines d’entre eux avaient exprimé leur mécontentement en manifestant à Paris. À leur côté, des représentants d’associations telles que Greenpeace étaient présents pour les soutenir. La veille du vote, l’intersyndicale de l’IRSN a aussi publié une lettre ouverte sur X (anciennement Twitter). Son but : appeler les parlementaires à rejeter un texte qui, à ses yeux, « déstabilisera durablement le système de gouvernance des risques nucléaires ». Depuis environ un an, d’autres craintes ont aussi été énoncées à plusieurs reprises. Ces dernières portent sur le risque que cette fusion porte atteinte à :
- l’indépendance des deux institutions différentes que forment l’ASN et l’IRSN ;
- la transparence des futures décisions liées à la sécurité nucléaire.
Des réserves partagées par Philippe Lorino, ingénieur expert du nucléaire. Fin janvier, ce dernier avait signé une tribune dans Le Monde demandant au gouvernement une évaluation de l’impact de cette fusion sur la sûreté nucléaire. Il redoute par exemple le risque d’« incidents graves » résultant souvent d’une organisation déficiente, ce qui pourrait être le cas avec cette fusion.
Il est clair que Philippe Lorino n’a pas été entendu, ni par l’exécutif ni par les parlementaires. Pourtant, la question de la sécurité du secteur atomique est plus qu’actuelle. En mai 2023, de nombreux observateurs soulevaient le problème de la sûreté des centrales, menacées par les sécheresses et les pénuries d’eau toujours plus régulières. Cette ressource est cependant essentielle pour refroidir le noyau du réacteur et assurer sa fiabilité. Cette difficulté liée au réchauffement climatique chaque jour plus palpable n’est qu’un des ennuis qui touchent le secteur. En 2022, de multiples réacteurs nucléaires ont été immobilisés à cause de soucis de corrosion sous contrainte à régler. Cet arrêt forcé d’une part importante du parc national a d’ailleurs plongé la France et ses habitants dans une grave crise énergétique. Fin 2023, c’est un incident de niveau 1 qui a été déclaré à la centrale de Paluel (Seine-Maritime). Enfin, début février 2024, l’ASN elle-même dénonçait les nombreuses fraudes et contrefaçons détectées dans les centrales françaises l’an dernier.
Par conséquent, certains pourraient trouver que cela fait beaucoup. Et que ce n’est pas le moment idéal pour bouleverser l’efficacité d’une organisation qui risque, par cette fusion, de se retrouver encore plus impactée.
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faire une simulationDes amendements ajoutés au texte pour donner naissance à l’AIRSN
Pascal Martin, de l’Union centriste, est le rapporteur du texte adopté malgré tout par les sénateurs. De son point de vue, ce projet :
- maintient le « niveau d’exigence le plus élevé possible » de sûreté nucléaire ;
- en l’adaptant en même temps « aux enjeux de la décennie actuelle et de celles qui suivront ».
Il ajoute même que la nouvelle loi « contribuera à armer notre pays » pour l’aider à faire face à ces enjeux qui ne manquent pas, entre :
- la nécessaire réalisation de la sécurité énergétique en France ;
- le respect des objectifs climatiques nationaux, pris au niveau européen et international et liés à l’urgence environnementale ;
- la limitation de la flambée des prix de l’énergie.
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Concrètement, cette fusion devrait intervenir très rapidement, au 1er janvier 2025. Ainsi, l’ASN et l’IRSN deviendraient alors officiellement l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Des mots de Christophe Béchu, il s’agit d’un calendrier « ambitieux, mais réaliste et nécessaire ». Pour être validé, le projet de loi du gouvernement a malgré tout fait l’objet de plusieurs amendements de la part des sénateurs. Parmi ces modifications a été décidé que cette future entité ne soit pas baptisée l’ASNR mais l’AISNR. Est-ce un ajout purement symbolique, pour répondre aux craintes exprimées, que l’introduction de ce « I » signifiant « indépendante » ?
Les autres amendements réalisés ont décidé :
- du renforcement de la distinction entre expertise et décision ;
- du maintien en l’état actuel du niveau de communication vis-à-vis du public. Cela implique que les résultats d’expertise auront l’obligation d’être publiés, mais pas forcément avant la prise de décision qui doit en découler ;
- de la création d’une commission d’éthique et de déontologie. Le rôle de celle-ci sera double : « prévenir les conflits d’intérêts » tout en veillant à la préservation des capacités de recherche de la future institution.
Le « démantèlement » de l’IRSN dénoncé
Aux yeux des sénateurs de gauche, de tels amendements sont bien insuffisants. D’autant plus qu’aucun des 16 qu’ils ont déposés, proposés conjointement avec l’intersyndicale de l’IRSN, n’a été adopté. Pour l’écologiste Daniel Salmon, fusion rime malheureusement trop souvent avec « confusion ». C’est pourquoi il pense que « le succès n’est pas garanti », car « faire converger les pratiques, les fonctionnements et les cultures de deux organismes suscite de l’instabilité ». En plus de pouvoir être long à mettre en place de façon efficiente.
De son côté, le socialiste Sébastien Fagnen dénonce « des lacunes manifestes » et redoute les « conséquences non maîtrisées » du projet du gouvernement. Il s’est ainsi inquiété d’une réforme qui est :
- « marquée du sceau de la précipitation » ;
- risque aussi de provoquer, selon lui, une « désorganisation d’ici deux à trois ans » de la sûreté nucléaire.
De façon globale, la gauche voit dans cette loi le « démantèlement d’un système efficace pour une fusion hasardeuse ». Daniel Salmon ajoute même que la disparition presque actée de l’IRSN « est incompréhensible, sauf à vouloir affaiblir un contre-pouvoir objectif ». Du point de vue des communistes, les enjeux sociaux d’une telle décision sont aussi à prendre en compte. Normalement, l’AISNR devrait, pour l’instant, rassembler en un seul lieu :
- les 500 fonctionnaires et contractuels de l’ASN, relevant du droit public ;
- et les 1 600 salariés de droit privé de l’IRSN.
La date d’examen de la loi à l’Assemblée nationale n’est pas encore connue. Une chose est par contre déjà certaine : pour que les amendements du Sénat puissent vraiment être appliqués, ils devront aussi être validés par les députés. En tout cas, ce texte forme une nouvelle preuve que la priorité de l’exécutif pour décarboner l’économie est le nucléaire. Du côté des énergies renouvelables, le compte de la France n’y est toujours pas.
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