Quels défis représentent les canicules pour le nucléaire ?
Le nucléaire doit faire face à certains défis induits par les canicules pour le fonctionnement des centrales. Ce secteur se trouve confronté au réchauffement climatique, qui se manifeste notamment par une fréquence, une durée et une intensité accrue de phénomènes météorologiques extrêmes. La canicule impacte notamment le parc nucléaire et le fonctionnement de ses réacteurs. Comment les vagues de chaleur peuvent-elles affecter les centrales ? Cela représente-t-il un risque pour leur capacité et leur sûreté de fonctionnement ? Existe-t-il des solutions pour adapter le parc nucléaire au réchauffement climatique ? Choisir.com fait le point pour vous.
Réchauffement climatique : une nécessité d’adaptation dans tous les domaines
Le ministère de la transition écologique a lancé le 23 mai 2023 une consultation publique afin de sensibiliser les Français au réchauffement climatique et à ses conséquences. Pour cette consultation, deux scénarios sont présentés : le premier à + 2 °C et le second à + 4 °C par rapport à l’ère préindustrielle, tous les deux en 2100. Ils doivent permettre de préparer le futur plan d’adaptation français au changement climatique (PNACC).
Le ministère suggère néanmoins de retenir le plus pessimiste et réaliste de ces scénarios avec une hausse de 4 °C d’ici la fin du siècle. Pour limiter le réchauffement à 2 °C, le respect de l’Accord de Paris de 2015 devrait être respecté. Or, comme cela est souligné dans le document du ministère : “Nous ne sommes collectivement pas sur la bonne trajectoire […] Nous ne pouvons donc pas ignorer la tendance actuelle des émissions mondiales de gaz à effet de serre : l’hypothèse d’un réchauffement mondial supérieur à 2°C d’ici la fin du siècle ne peut pas être exclue, même si l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris reste notre priorité et notre combat”.
Cette hausse des températures impactera les populations, les collectivités, les écosystèmes et l’économie avec l’augmentation d’un certain nombre de phénomènes et de catastrophes naturelles. Une des conséquences du réchauffement climatique est notamment l’augmentation de la fréquence des périodes de canicules, ainsi que la sécheresse. Ces dernières seraient multipliées par quatre alors qu’elles le sont par deux aujourd’hui. Les épisodes de chaleur pourront s’étaler sur une période de un ou deux mois en été.
Face à ce constat, un certain nombre de défis sont donc à relever dans divers secteurs. C’est notamment le cas du nucléaire, mais aussi de l’agriculture, du réseau ferroviaire ou du bâtiment. Quelles sont donc les problématiques que représente la hausse des températures pour le nucléaire ? Est-il possible d’adapter ces installations au changement climatique ? Faisons le point.
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faire une simulationCanicules : quels enjeux pour le nucléaire ?
Les épisodes caniculaires devenant de plus en plus fréquents, une révision du dispositif de sûreté nucléaire se révèle nécessaire. Ces périodes de chaleur extrême représentent également un risque croissant d’indisponibilité d’électricité d’origine atomique.
La réduction de la capacité de refroidissement de la centrale
Garantir la capacité de refroidissement d’une centrale nucléaire est essentiel pour son bon fonctionnement. Cette capacité repose à la fois sur la température de l’air et sur la disponibilité en eau.
La température de l’air ambiant
Il est indispensable de refroidir les bâtiments d’une centrale nucléaire. Or, lors des épisodes de très forte chaleur, l’efficacité de refroidissement des bâtiments diminue. Pour des raisons de sécurité, la température de l’air ambiant des locaux ne doit pas dépasser une température maximale admissible (de 30 à 40 °C selon les sites). Si elle est trop élevée, cela peut représenter un risque au niveau du fonctionnement de la centrale, ainsi qu’une dégradation accélérée de ses composantes (fonctionnement des ventilations, des matériels de sûreté et capacités de refroidissement).
D’après l’IRSN (l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) : « pour les équipements les plus importants, EDF peut être amené à arrêter le réacteur ». Si cette situation ne s’est encore jamais présentée, avec l’augmentation de la fréquence des canicules ce scénario pourrait tout à fait se produire.
Pour éviter cela, l’IRSN précise que des mesures ont été prises : « EDF a déjà remplacé certains composants sensibles aux températures élevées ou équipé les locaux qui les abritent de moyens de conditionnement thermique permettant de maintenir la température à un niveau compatible avec le fonctionnement normal des équipements. ». Selon l’ASN (l’Autorité de sûreté nucléaire), cela a permis aux températures maximales relevées dans les locaux lors des épisodes caniculaires de l’été 2022 de rester inférieures à celles indiquées dans le référentiel de sûreté.
L’eau et le refroidissement de la centrale nucléaire
L’eau est indispensable pour l’exploitation et la sûreté dans une centrale nucléaire. Cette ressource est notamment nécessaire :
- au refroidissement de certains éléments qui composent le réacteur (condenseurs, groupe turboalternateur et circuits auxiliaires) ;
- à la production de vapeur afin d’actionner la turbine ;
- à la constitution de réserves de sécurité ;
- à l’alimentation des circuits de lutte contre les incendies ;
- à l’alimentation des installations sanitaires, ainsi que des équipements de restauration des salariés.
L’indisponibilité de l’eau en période de sécheresse représente donc un véritable enjeu pour le fonctionnement du parc nucléaire français. Afin de mieux comprendre le rôle de cette ressource pour un réacteur nucléaire, nous devons distinguer deux types de systèmes de refroidissement dont la consommation d’eau varie :
Type de système de refroidissement | Fonctionnement | Prélèvement d’eau pour produire un mégawattheure d’électricité | Consommation nette d’eau pour produire un mégawattheure d’électricité | Réacteurs concernés |
---|---|---|---|---|
À circuit ouvert | De l’eau est prélevée par pompage pour refroidir le réacteur, puis rejetée en intégralité et immédiatement dans son milieu avec quelques degrés de plus. | De 150 à 180 litres/MWh | 0,3 m³/MWh | 14 réacteurs en bord de mer et 14 en bord de fleuve |
À circuit fermé (tours aéroréfrigérantes) | L’eau prélevée est beaucoup moins importante qu’avec le circuit ouvert, mais entre 23 % et 24 % s’évaporent dans l’atmosphère (les nuages blancs qui s’échappent des réacteurs). | De 6 à 8 litres/MWh | De 2,4 à 3,2 m³/MWh | 30 réacteurs en bord de fleuve |
Source : Reporterre – Le journal de la Société française d’énergie nucléaire (Sfen)
Selon la Sfen (Société française de l’énergie nucléaire), la consommation des centrales à circuit fermé représente entre 5 et 10 % de la consommation d’eau en France. Bien qu’elle ne soit pas négligeable, elle se situe derrière l’irrigation (48 %) et la consommation d’eau potable (24 %). Comme le montre le tableau ci-dessus, c’est en circuit fermé, que la centrale consomme le plus d’eau afin de compenser l’évaporation qui a lieu dans les tours de refroidissement.
Les schémas ci-dessous illustrent le fonctionnement d’une centrale nucléaire à circuit ouvert et à circuit fermé :
Source : IRSN
Source : IRSN
Comme pour l’air ambiant, la température de l’eau doit rester inférieure aux valeurs maximales fixées pour chaque site (entre 20 et 30,4 °C).
Si la ressource en eau n’est pas suffisante (baisse du niveau du cours d’eau ou de son débit) ou que sa température n’est pas conforme aux normes, EDF peut être contraint de fermer certains réacteurs. Comme nous le verront plus bas, cela entraîne une réduction de la production d’électricité d’origine nucléaire. L’eau jouant le rôle de source froide de sûreté pour un réacteur, une diminution des débits du cours d’eau peut aussi représenter un risque pour la sécurité.
L’indisponibilité de l’eau et de la production du parc nucléaire
Quelles sont les limites réglementaires relatives aux cours d’eau qui s’imposent aux centrales nucléaires ? Que représentent les pertes de production électrique liées aux canicules ?
Les limites réglementaires pour les prélèvements d’eau et les rejets
Comme nous l’avons expliqué, l’eau est une ressource nécessaire pour le refroidissement d’une centrale nucléaire, mais aussi une ressource limitée. Plusieurs normes environnementales s’appliquent notamment sur certains usages :
- les prélèvements d’eau : nécessaires au fonctionnement des réacteurs (refroidissement notamment) ;
- les rejets thermiques : il s’agit d’eau chaude, de l’énergie non transformée en électricité, cédée dans la source froide (le milieu aquatique). Sa concentration dans le débit fluvial est restreinte et strictement encadrée ;
- les rejets liquides (effluents radioactifs ou chimiques) : ils ne sont pas autorisés si le débit du cours d’eau ne correspond pas à celui établi par la réglementation. Ils doivent être suffisamment dilués pour ne pas avoir d’effets néfastes sur le milieu aquatique. Ils ne sont jamais rejetés s’ils peuvent présenter un danger.
Ces réglementations conformes au Code de l’environnement, faisant l’objet d’un arrêté spécifique pour chaque centrale nucléaire, visent à :
- limiter les impacts néfastes sur l’écosystème aquatique : le prélèvement d’eau, ainsi que les rejets thermiques ou liquides ont un impact sur la biodiversité des cours d’eau ;
- permettre le partage de cette ressource à destination d’autres usages : la consommation d’eau potable, l’agriculture ou les usages d’autres industries.
Les pertes de production d’électricité liées à la canicule
Ces réglementations relatives au cours d’eau, associées à des épisodes de sécheresse, représentent des contraintes pour l’exploitation des centrales nucléaires. Pour les respecter, la disponibilité du parc peut être réduite, notamment lorsqu’il s’agit de sites implantés en bord de fleuves. Ces dernières années, marquées par des épisodes caniculaires, EDF a donc été contraint de moduler la puissance de ses centrales.
La réduction du débit des cours d’eau a entraîné la mise à l’arrêt de certains réacteurs lors de l’été 2022. En septembre de cette même année, 32 réacteurs ne fonctionnaient plus. Toutefois, cette situation n’était pas uniquement due à la canicule, mais aussi à des travaux de maintenance. Par conséquent, une réduction de la production de l’électricité a été observée à cette période. Les pertes cumulées de production d’électricité d’origine nucléaire liées aux canicules et aux étiages (lorsque les cours d’eau sont à leur niveau minimal), rapportée à la production annuelle entre 2000 et 2022, sont illustrées ci-dessous :
Pertes cumulées de production (en GWh) rapportées à la production annuelle, attribuées aux canicules et aux étiages (2000-2022) :
Sources : Vie-publique.fr / DILA
Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport datant du 21 mars 2023, la perte de production résultant de normes environnementales reste aujourd’hui limitée. Celles qui sont liées à la canicule et la sécheresse ne dépassent généralement pas les 1 % sur la production annuelle. En 2003, elle atteint cependant 1,4 %. Seuls 6 sites sur 18 sont concernés par ce risque d’indisponibilité. Il s’agit des centrales nucléaires sensibles aux limites de température en bord de rivière ou d’estuaire (Saint-Alban, Tricastin, Bugey, Blayais, Golfech).
D’ici 2050, les épisodes de canicule et de sécheresse devenant de plus en plus fréquents et intenses, trois ou quatre fois plus d’arrêts des réacteurs devraient néanmoins être nécessaires. Comme le recommande la Cour des comptes, il est notamment indispensable :
- d’évaluer l’évolution du débit des fleuves en poursuivant les études sur la ressource en eau : l’ASN a indiqué qu’il existe peu d’études fiables sur le sujet. Le débit provenant de la pluviométrie, il est difficilement prévisible sur le long terme ;
- d’adapter le parc nucléaire en accélérant la recherche sur ces sujets ;
- de consolider et d’actualiser les fondements scientifiques qui justifient les réglementations relatives aux rejets thermiques : les cours d’eau s’étant naturellement réchauffés avec le temps, certaines limites ayant été fixées il y a plusieurs années peuvent être dépassées.
L’augmentation de la demande d’électricité en été
Un autre enjeu lié à la canicule pour le nucléaire est la hausse de la demande d’électricité. Cette dernière augmente du fait de certains usages en ces périodes de forte chaleur. Il s’agit notamment de la climatisation et de la ventilation qui permettent de rendre les températures élevées plus supportables.
Ces usages créent donc des pics de consommation, qui doivent notamment être supportés par les centrales nucléaires. Le problème qui se pose est alors similaire à celui rencontré en hiver lorsque la consommation de chauffage augmente et que la demande est trop importante sur le réseau. Avec le risque d’indisponibilité des centrales nucléaires et des pics de consommations lors des périodes de canicules, de fortes tensions peuvent donc aussi être observées sur le réseau électrique en été.
Aujourd’hui, il est recommandé de réduire sa consommation d’énergie pour limiter son empreinte carbone. Cela peut également permettre de soulager le réseau électrique en période de tension. De plus, la demande qui est souvent liée aux conditions climatiques impacte le prix de l’électricité, au côté d’autres paramètres (contexte géopolitique, prix du gaz, coût de production, coût des quotas de CO2, etc.). Plus elle est importante, plus le prix augmente. Si mettre en marche son climatiseur offre un confort indéniable lorsque les températures sont trop élevées, il est essentiel d’en faire un usage raisonné.
Le vieillissement des installations nucléaires
Comme le soulève la Cour des comptes dans son rapport, le dispositif de sûreté nucléaire doit continuer d’évoluer afin d’intégrer pleinement la notion de changement climatique dans ses référentiels. En effet, les centrales actuelles ont été conçues avant l’apparition de cette notion. Cependant, d’autres phénomènes et aléas étaient déjà appréhendés, comme la température de l’air, de l’eau, les inondations ou les étiages. Le dimensionnement de la résistance des centrales à ces phénomènes affichant de grandes marges, les évolutions climatiques ont pu y être intégrées progressivement.
Cette intégration des conditions climatiques vient également du fait que des procédures de réévaluation de sûreté ont lieu à chaque visite décennale. Les différents risques liés ou non au changement climatique sont donc intégrés dans les référentiels imposés par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui sont régulièrement renforcés. Cela a notamment été le cas pour :
- le « grand froid » dans les années 1980 ;
- les inondations suite à l’accident de Blayais en 1999 ;
- le « grand chaud » après la canicule de 2003 ;
- les événements climatiques (inondations, tempêtes, tornades) suite à l’accident de Fukushima au Japon en 2011.
La canicule a donc été ajoutée à la liste des agressions externes d’origine naturelle en 2003. Sur le parc existant, les effets du changement climatique ont été intégrés aux référentiels afin de couvrir au moins la période entre deux visites décennales. L’EPR de Flamanville, en revanche, a été conçu afin de résister à l’évolution des aléas climatiques sur cent ans à minima. Les effets du dérèglement climatique à l’horizon 2100 ont donc été pris en compte.
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faire une simulationQuels acteurs interviennent pour répondre aux enjeux de la canicule pour le nucléaire ?
Une coopération entre différents acteurs de la filière nucléaire est aujourd’hui essentielle pour faire face aux défis induits par la canicule, et les autres phénomènes liés au réchauffement climatique.
EDF : l’exploitant du parc nucléaire
EDF est l’exploitant du parc nucléaire français. L’adaptation de ce dernier au réchauffement climatique est depuis plusieurs années une préoccupation majeure. La direction de la recherche et du développement d’EDF s’est emparée dès les années 1990 de ces questions, en se basant sur le premier rapport du GIEC. Les initiatives du Groupe se sont manifestées sous la forme de différentes mesures et services :
- en 2014 : la création d’un service climatique ;
- suite à la canicule de 2003 : la mise en place d’un plan d’action « canicule et sécheresse » ;
- en 2004 : la mise en place d’un plan « Aléas climatiques » ;
- en 2010 : l’élaboration d’une stratégie d’adaptation au changement climatique ;
- en 2017 : la présentation de sa stratégie d’entreprise « CAP2030 », dans laquelle cohabitent les objectifs de décarbonation d’EDF, l’adaptation au changement climatique et l’accompagnement de ses clients dans la transition énergétique ;
- entre 2016 et 2021 : un programme de recherche Thermie-Hydrobiologie a été mené en collaboration avec plusieurs institutions scientifiques, comme l’INRAE, sur le rapport entre la température des cours d’eau et les effets sur la biologie du milieu aquatique. Ce programme doit se poursuivre sur la période 2023-2027 ;
- avril 2023 : la présentation de son projet « ADAPT » sur l’adaptation des centrales nucléaires existantes au changement climatique. Une étude est donc menée à Chooz afin d’en produire une analyse et de proposer un plan d’action spécifique à chaque site. Les phénomènes observés lors de l’été 2022 ont été pris en compte pour la définition de ce programme, en adoptant une approche systémique.
La canicule de 2022 a permis d’accélérer l’organisation interne du Groupe pour répondre à ces problématiques, notamment au niveau de la recherche. Cela doit permettre de mettre en œuvre des systèmes :
- de refroidissements sobres en eau : afin de limiter la consommation de cette ressource pour le fonctionnement des centrales nucléaires ;
- de traitement plus sobres en réactifs chimiques : afin d’en réduire la quantité rejetée en milieu naturel.
L’adaptation au dérèglement climatique, représente une part intégrante de la politique de responsabilité sociétale d’entreprise (RSE) d’EDF. Différents objectifs doivent donc être fixés pour les différentes entités concernées qui mettront « en œuvre un plan d’adaptation au changement climatique avec mise à jour tous les 5 ans […]. Tout nouveau projet ou investissement intégrera une analyse de l’impact potentiel du changement climatique ».
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaires (IRSN)
D’autres acteurs interviennent dans l’adaptation du parc nucléaire à la canicule, notamment en termes de sûreté.
L’ASN
L’autorité de sûreté nucléaire (ASN) joue un rôle essentiel dans l’exploitation du parc nucléaire français. Elle évalue notamment les décisions prises par EDF pour l’exploitation des centrales. C’est également l’ASN qui définit les référentiels pour répondre aux agressions naturelles.
l’ASN a notamment rappelé à EDF, dans sa note d’information d’avril 2023 suite à la présentation du projet ADAPT, « le besoin d’anticiper la manière dont seront gérées les potentielles situations de canicule et de sécheresse des prochains étés, au vu du retour d’expérience tiré de l’année 2022 ». La note de l’ASN rappelle également « l’exigence de prise en compte des impacts du changement climatique de long terme dès la conception des nouveaux réacteurs ».
L’ASN juge pour le moment conforme la démarche de réévaluation des températures de « longue durée » et « exceptionnelles » effectuées par EDF. Elle souligne toutefois l’importante d’anticiper également les adaptations des centrales nucléaires à court terme. Elle met aussi en garde contre « les effets cumulés potentiels liés à la présence de plusieurs sites » au bord d’un même cours d’eau, dans un contexte où de nouveaux réacteurs (ERP2) devraient être construits dans les années à venir.
H4 : L’IRSN
L’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a pour mission de réaliser des recherches sur les risques en lien avec la radioactivité. En tant qu’expert public des risques nucléaires et radiologiques, l’institut a notamment émis un avis spécifique suite aux épisodes de canicule de l’été 2019. Les niveaux d’aléas qui servent de référence ont alors été mis à jour.
Le Comité d’orientation des recherches qui lui est rattaché s’est notamment saisi de la question du changement climatique avec pour objectif « de s’interroger sur la manière dont les impacts de ces changements climatiques peuvent induire de nouveaux besoins de connaissances pour l’IRSN et au-delà de l’IRSN, pour l’évaluation et la maîtrise des risques radiologiques et nucléaires ». Les recommandations émises par le Comité sont en cours de rédaction et permettront ensuite à l’institut d’orienter ses programmes.
Différents partenariats ont également été mis en place entre l’IRSN et d’autres organismes, comme Météo-France ainsi que des instituts étrangers. Ils doivent permettre de disposer des dernières connaissances sur le sujet ainsi que de participer au développement de la recherche.
Les services de l’État
L’État, occupe une place centrale dans l’ajustement du parc nucléaire pour faire face aux canicules. Les politiques publiques d’adaptation au dérèglement climatique qui ont débuté dans les années 1990, ne comprenaient cependant pas de volet dédié aux installations nucléaires.
En 2006, une première stratégie nationale d’adaptation au réchauffement climatique a été présentée. Deux PNACC (plans nationaux d’adaptation au changement climatique) sont ensuite venus préciser cette stratégie, en 2011 puis en 2018. Le premier PNACC présentait des recommandations concernant tous les secteurs d’activité, notamment le nucléaire. Quatre objectifs étaient alors mis en avant pour tous les secteurs afin de faire face aux nouvelles conditions climatiques :
- protéger les personnes et les biens ;
- éviter les inégalités devant les risques ;
- limiter les coûts et tirer parti des avantages ;
- préserver le patrimoine naturel.
Le PNACC de 2018 a ensuite été élaboré, en adéquation avec les objectifs fixés par l’Accord de Paris sur le climat (2015). Une troisième édition du PNACC est prévue pour 2023, intégrée à la loi de programmation énergie climat (LPEC).
La Cour des comptes aborde également dans son rapport, l’importance pour le Gouvernement d’accorder à l’ASN et à l’IRSN « des compétences et des moyens humains nécessaires à l’anticipation et à la prise en compte concertées des questions liées à l’adaptation du parc nucléaire au changement climatique ». L’État est également considéré comme responsable de la coordination des méthodologies et des approches des différents acteurs (EDF, ASN, IRSN, etc.).
Nucléaire et canicule : quelles sont les solutions ?
La canicule, et plus généralement le réchauffement climatique, représentent un certain nombre de défis à relever pour le secteur du nucléaire. Afin de garantir la sûreté du parc, ainsi que d’assurer la production d’électricité nécessaire au pays, il est indispensable d’adapter les centrales nucléaires ou de se tourner vers des solutions alternatives.
Les énergies alternatives
En 2021, le parc nucléaire permettait d’assurer 69,5 % de la production d’électricité française. Cela représente 361 TWh (térawattheure). Si les ressources énergétiques alternatives occupent une place de plus en plus importante dans le mix électrique de la France, elles restent tout de même marginales :
- l’hydraulique (11,97 %) : son fonctionnement repose sur l’énergie produite par l’eau. Cependant, en juillet 2022, les réservoirs des barrages d’EDF étaient remplis à 67 %, contre 80 % pour la moyenne historique ;
- l’éolien (6,95 %) : ce même été, il n’a pas permis de combler l’indisponibilité des centrales nucléaires du fait de l’absence de vent ;
- le solaire (2,70 %) : n’a pas non plus permis de faire face aux pics de consommations liés à la canicule.
Si les énergies renouvelables pourraient permettre de faire face à l’indisponibilité de l’électricité d’origine atomique en période de canicule, il existe un certain nombre de limites. Outre une dépendance aux conditions météorologiques (vent et soleil), elles sont insuffisamment développées. Or, il serait nécessaire de diversifier la production d’électricité pour mieux préparer les défis que représente le changement climatique.
Les centrales thermiques (charbon, gaz, fioul) sont aussi concernées par les tensions autour de la ressource en eau. Comme les centrales nucléaires, elles en ont besoin pour leur refroidissement. Leurs rejets thermiques sont donc également limités. 6 centrales ont dû être arrêtées dans le courant de l’été 2022.
Des mesures d’urgence adaptées à la canicule
Pour répondre aux enjeux induits par les épisodes caniculaires de l’été 2022, EDF a décidé de prendre plusieurs mesures d’urgence :
- limiter la production de certaines centrales : elle a été réduite sur plusieurs réacteurs ;
- réduire la fourniture en électricité de certains clients industriels : le contrat doit alors comporter une clause d’effacement. À condition d’alerter suffisamment tôt son client, EDF peut annuler certaines livraisons d’électricité. Grâce à cette mesure, qui a été appliquée à une quarantaine d’industriels en France, 1 000 à 1 500 MWh d’électricité ont pu être économisés ;
- augmenter les importations d’électricité depuis l’étranger : ces achats se sont multipliés par quatre pour l’été 2022 par rapport au précédent, et sont principalement effectués auprès des Allemands, des Belges, des Suisses, des Anglais, des Italiens et des Espagnols ;
- recourir aux capacités de cogénération : elle permet de produire à la fois de l’électricité et de la chaleur. Le nombre de cogénérateurs en maintenance a cependant limité cette ressource à 500 mégawatts.
Parallèlement à l’adaptation du parc nucléaire, il est donc possible de répondre aux problèmes de tension sur le réseau et à l’indisponibilité de l’électricité d’origine atomique par certaines mesures exceptionnelles et temporaires.
L’adaptation et l’adaptabilité du parc nucléaire au changement climatique
Au-delà des adaptations du parc actuel jusqu’à l’arrêt de ces réacteurs, il est essentiel de concevoir les centrales nucléaires de demain en prenant en compte les incertitudes climatiques sur le long terme. Pour la sûreté de l’exploitation du parc, ainsi que pour garantir la stabilité de la distribution d’électricité, et limiter autant que possible l’impact du nucléaire sur l’environnement, l’adaptation et l’adaptabilité du parc est un enjeu majeur.
Un programme « nouveau nucléaire »
La prolongation du parc nucléaire actuel est aujourd’hui prévue, tout comme son arrêt par la suite. Il a été conçu initialement pour être exploité environ 40 ans. Or, la moyenne d’âge des 56 réacteurs répartis dans 18 centrales, s’établira autour de 45 ans en 2030 (s’ils sont autorisés à fonctionner au-delà de 40 ans).
C’est dans ce contexte que le premier EPR du parc français, situé à Flamanville, doit être prochainement mis en service. Dans le cadre d’un programme « nouveau nucléaire », la construction de 14 autres EPR devrait suivre. La première mise en service pourrait avoir lieu à l’horizon 2035 à Penly.
Pour la conception de ces nouvelles centrales nucléaires, c’est l’horizon 2100 (le plus éloigné dans les projections du GIEC), qui est pris en compte avec les principales contraintes climatiques. Les principes mis en avant dans le projet ADAPT d’EDF doivent également être appliqués lors de la conception des projets du « nouveau nucléaire ».
L’adaptabilité des infrastructures
Il est également essentiel de penser à l’adaptabilité des centrales, qui devront être capable d’évoluer en fonction des contraintes climatiques. Lors de leur conception, la possibilité d’y ajouter des aménagements nouveaux devrait donc être prise en compte.
La plasticité et la flexibilité des infrastructures représentent donc un enjeu crucial. Selon l’IRSN, l’encombrement des locaux dans le parc existant a parfois empêché l’installation de nouveaux aménagements jugés nécessaires afin d’améliorer la résilience des installations face au changement climatique.
Le choix de l’implantation géographique
L’implantation géographique des nouveaux EPR2 est également une question majeure. Les sites sélectionnés pour les 6 premiers EPR2 sont sur le littoral ou en bord du Rhône, car les contraintes relatives à la ressource en eau y sont notamment les moins importantes à court et moyen terme. Le choix des sites pour l’implantation des 8 autres EPR2 sera décisif pour sécuriser la disponibilité d’électricité d’origine atomique pour les décennies qui viennent.
Des systèmes plus sobres en eau
La Cour des comptes appelle EDF à renforcer davantage ses recherches afin que les systèmes de refroidissement des centrales puissent être plus sobres en eau. Le rapport relève le manque d’innovation sur le parc existant, ainsi que pour les futurs EPR.
Il souligne toutefois que l’été 2022 a été « un accélérateur de la prise en compte de l’adaptation au changement climatique pour EDF, dans la mesure où le groupe anticipait la survenue d’épisodes semblables, mais à un horizon plus éloigné de 15 ou 20 ans ». Selon le directeur du parc nucléaire et thermique d’EDF, l’été 2022 a « secoué l’entreprise dans ses certitudes ».
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