Centrales nucléaires : leur sûreté menacée par les sécheresses ?

Le dérèglement climatique, en France ou au niveau planétaire, est incontestable et de plus en plus marqué au fil des années. Les sécheresses et les canicules qui frappent régulièrement notre pays, avec toujours davantage de force, mettent à mal le niveau de nos cours d’eau. L’eau est pourtant une ressource cruciale, y compris dans le domaine de l’énergie, pour les centrales nucléaires. Un réacteur peut-il se refroidir convenablement avec ce manque d’eau de plus en plus récurrent ? Les sécheresses forment-elles une menace au niveau de la sûreté des infrastructures et de l’activité nucléaire ? Alors que le secteur a déjà traversé une année 2022 totalement noire, il se trouve encore dans une situation fragile en 2023. Une éventuelle canicule l’été prochain pourrait-elle empêcher la filière de produire assez d’électricité en toute sécurité ? Choisir.com vous apporte immédiatement les réponses à toutes ces questions.

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Le nucléaire : un secteur extrêmement gourmand en eau

À l’heure actuelle, les craintes sont de plus en plus fréquentes tandis que le dérèglement et le réchauffement climatiques se font toujours plus prononcés. Les réacteurs nucléaires sauront-ils résister à de tels changements qui impactent les quantités d’eau disponibles ?

Nous ne sommes pas encore à l’été 2023 et, pourtant, une sécheresse a déjà frappé notre pays en ce début d’année. Les images des cours d’eau presque à sec, aux quatre coins de France, sont encore sans doute dans les mémoires. Toutefois, quel est le rapport avec les centrales nucléaires ?

Le fait est que ces dernières sont réellement gourmandes en eau. En 2018, elles ont ponctionné 16 milliards de mètres cubes d’eau. La moitié de cette énorme quantité a une unique utilité : le refroidissement des réacteurs nucléaires. On comprend donc ici en quoi le manque d’eau pourrait avoir un impact certain sur l’activité atomique.

« L’énergie représente une part importante du prélèvement d’eau en France » concédait justement, en 2022, Cécile Laugier, directrice Prospective et environnement de la direction production nucléaire d’EDF. Cependant, celle-ci ajoutait également que « la très grande partie de l’eau est restituée immédiatement ».

C’est vrai : la grosse majorité de l’eau prélevée par les centrales est ensuite rejetée dans le fleuve ou la mer au bord duquel elles sont bâties. Ces rejets réduisent la consommation nette du nucléaire à 400 millions de mètres cubes d’eau par an. Avec 12 % de l’utilisation nationale, le nucléaire est en réalité le troisième secteur d’activité français le plus consommateur d’eau, après :

  1. l’agriculture, avec 57 % de l’utilisation nationale ;
  2. l’eau potable, avec 26 %.

Cependant, pour y voir plus clair, il convient de s’intéresser aux situations, hétérogènes, des différents sites nucléaires. Certains fonctionnent en réalité en circuit ouvert et d’autres en circuit fermé :

  • 26 réacteurs sur les 56 existants en France sont en circuit ouvert : les quantités importantes d’eau pompées (45 mètres cubes par seconde et par réacteur) sont ensuite presque entièrement rejetées, avec quelques degrés de plus. Ces réacteurs sont localisés en bord de mer ou le long du Rhône ;
  • 30 derniers réacteurs sont en circuit fermé : ils réalisent des prélèvements en eau bien plus faibles (2 mètres cubes par seconde et par réacteur) mais l’eau n’est que peu restituée au fleuve où elle a été pompée. À la place, elle est rejetée sous forme de vapeur, à 1 °C de plus, par une tour de refroidissement.

Cela implique que la consommation nette de ces derniers est toutefois plus importante que les centrales en circuit fermé. En effet, 40 % de l’eau prélevée s’y évapore par ces tours de refroidissement.

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Des sécheresses synonymes de danger pour les centrales ?

Du fait de l’aggravation des épisodes de sécheresses de plus en plus nombreux, le niveau alors très bas des fleuves français pose donc question. Cela fait-il peser sur l’énergie nucléaire et sa sécurité une menace réelle ?

En fait, le refroidissement du cœur nucléaire nécessite assez peu d’eau pour que ce problème de sûreté ne se pose pas :

  • les turbines, qui produisent l’électricité, sont la partie qui a le plus besoin d’être refroidie. Il suffit alors de produire moins pour permettre de consommer moins d’eau si nécessaire ;
  • un réacteur à l’arrêt qui conserve son cœur encore chaud ne consomme presque plus rien, tout en ne prélevant que 0,6 mètre cube d’eau par seconde.

Pourtant, ces dernières années, certains réacteurs ont bien été obligés de diminuer leur production électrique du fait du manque d’eau causé par une canicule. Toutefois, cela n’a pas de rapport direct avec un potentiel risque qui pèserait sur la sécurité du réacteur. En fait, « l’administration a fixé des limites d’échauffements spécifiques à chaque site, en fonction de leurs caractéristiques ». Voilà ce qu’expliquait, en 2022, Cécile Laugier. « Ce sont ces limites qui nous conduisent à procéder à des ajustements de puissance [et donc à produire moins] pour respecter l’environnement ».

Une analyse confirmée par Karine Herviou, directrice générale adjointe de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) : « Ces décisions n’ont aucun lien avec la sécurité des centrales et sont liées à l’environnement » a-t-elle précisé. En cas de dépassement de certains seuils de température ou de débit des cours d’eau, les centrales nucléaires sont effectivement obligées de restreindre leurs prélèvements. La raison : les conséquences qu’un échauffement trop important des cours d’eau, potentiellement accentué par les rejets plus chauds des centrales, pourrait engendrer. Le but est ainsi d’éviter :

  • de nuire à l’écosystème aquatique ;
  • de favoriser la prolifération de pathogènes ;
  • d’empêcher certains usages. Par exemple, l’eau potable ne peut être captée si elle dépasse 25 °C.

L’année 2022 a été « un accélérateur de la prise en compte de l’adaptation au changement climatique pour EDF » souligne la Cour des comptes. Sauf que ce réchauffement arrive 15 à 20 ans plus vite que ce que l’énergéticien avait prévu. Six de ses sites fonctionnant en circuit ouvert sont concernés par des restrictions environnementales :

  • Chooz (Ardennes) ;
  • Bugey (Ain) ;
  • Saint-Alban (Isère) ;
  • Tricastin (Drôme) ;
  • Blayais (Gironde) ;
  • Golfech (Tarn et Garonne). Ce dernier se situe justement le long de la Garonne qui, l’été, peut atteindre des températures très élevées.

Selon EDF et la Cour des comptes, ces restrictions ont provoqué une perte de production de 0,3 % entre 2001 et 2022, pour un coût de 889 millions d’euros. « Les études prospectives mettent en évidence une multiplication […] des indisponibilités liées au réchauffement climatique à échéance de 2050 » a fait savoir la Cour des comptes.

Le véritable problème : l’impact du réchauffement climatique sur les capacités futures de la filière nucléaire

Karine Herviou, de l’IRSN, indique également que « les enjeux de sûreté nucléaire portent plutôt sur la température de l’air dans certains locaux, qui peut potentiellement affecter le fonctionnement d’équipements importants ». C’est pourquoi les centrales ont été équipées de climatiseurs industriels, ce qui n’a pas empêché les températures d’atteindre des sommets ces dernières années. À cela s’ajoute le problème de corrosion sous contrainte et de fissures que rencontre encore EDF en 2023. Peut-être sont-ce là plutôt les principaux facteurs de menace qui pèsent sur la sécurité de la filière aujourd’hui.

Au-delà de la question de la sûreté nucléaire, la problématique plus importante que posent ces sécheresses à répétition est davantage la priorisation des usages de l’eau. « Quels arbitrages est-on prêt à faire en période de sécheresse ? Qu’est-ce qui est prioritaire ? » Voilà ce que se demande Thibault Laconde, consultant spécialisé dans les risques climatiques. En effet, en 2022, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a autorisé pour la première fois le nucléaire à fonctionner en dehors des seuils environnementaux. En pleine période de crise énergétique, le risque de coupures et de manque d’électricité durant l’hiver était trop grand. Ces dérogations ont ainsi concerné plusieurs réacteurs, notamment à :

  • Golfech ;
  • Saint-Alban ;
  • Blayais ;
  • Bugey ;
  • Tricastin.

Alors, tandis qu’une sécheresse a déjà eu lieu en France en 2023 et que la situation d’EDF reste très fragile, qu’en sera-t-il à l’avenir ? La mise en place d’arbitrages, pour se partager cette ressource de plus en plus rare, pourrait devenir nécessaire. Y aura-t-il encore suffisamment d’eau afin que que les centrales produisent assez d’électricité pour l’alimentation de tout le réseau national ?

Et quid des six prochains EPR (Réacteur pressurisé européen), prévus par le gouvernement, et des huit supplémentaires qu’il veut à terme construire en France ? Le 17 avril 2023, l’ASN a estimé qu’EDF faisait face au « besoin d’anticiper la manière dont seront gérées les potentielles situations de canicule et de sécheresse des prochains étés, au vu du retour d’expérience tiré de l’année 2022 ».

De son côté, la Cour des comptes juge que le groupe « devra accélérer la recherche et la mise en œuvre de systèmes de refroidissement sobres en eau » pour ses futurs projets. Elle regrette également qu’« alors que des solutions techniques plus sobres en consommation d’eau […] sont expérimentées à l’international, EDF […] n’a proposé jusqu’à ces dernières années aucune innovation opérationnelle ». L’ASN rappelle aussi à l’énergéticien « l’exigence de prise en compte des impacts du changement climatique de long terme dès la conception des nouveaux réacteurs ». Elle l’a enfin prévenu contre « les effets cumulés potentiels liés à la présence de plusieurs sites » au bord d’un même cours d’eau.

Autrement dit, si le manque d’eau n’impacte pas réellement la sécurité des infrastructures nucléaires, il pose la question de sa capacité à produire assez d’électricité. Si l’implantation de ces futurs EPR ne prend pas en compte les contraintes environnementales, ils ne seront donc d’aucune aide pour assurer la sécurité énergétique française. C’est bien là l’enjeu majeur auquel doit répondre le nucléaire d’aujourd’hui et de demain.

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