Politique énergétique française : un rapport accablant
« C’est l’histoire de décisions parfois prises à l’envers, sans méthodes, sans prospectives, aux conséquences lourdes […] ». Voilà un constat bien critique et sévère. Celui-ci porte sur les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France. C’était le sujet sur lequel a travaillé, pendant six mois, une commission d’enquête parlementaire, conséquence de la désastreuse année 2022 qu’a connue notre pays dans ce domaine. Son rapport, publié le 6 avril 2023, est le fruit de nombreuses auditions d’experts et de responsables de tout bord. Totalement accablant, il dénonce une politique « inconsciente et inconséquente » tout en formulant 30 propositions pour ne jamais revivre pareille crise énergétique.
Un rapport dénonçant « une divagation politique » qui a éloigné la France de la transition énergétique
C’est donc le jeudi 6 avril dernier que ce rapport, que beaucoup attendaient, a été présenté. Celui-ci a été délivré par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale « visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France ». Long de 490 pages, il est le fruit d’un travail de 6 mois débuté en octobre 2022. Durant 150 heures, 88 personnes différentes ont été auditionnées, et non des moindres : fonctionnaires, experts, chercheurs, responsables de la filière nucléaire, industriels et même des responsables politiques. Parmi ces derniers, la Première ministre Élisabeth Borne, ministre de la Transition énergétique à la fin des années 2010. Sans oublier deux anciens présidents de la République, Nicolas Sarkozy et François Hollande.
Pourquoi la nécessité d’un tel rapport ? L’année 2022, avec sa violente flambée des prix de l’énergie qui a durement frappé les ménages et les entreprises françaises, est encore dans les mémoires. Celle-ci s’explique, au moins en partie, par les énormes difficultés du parc nucléaire français l’an passé. Rappelons qu’au plus fort de la crise, près de la moitié de ses réacteurs ont dû effectivement être arrêtés pour maintenance ou problème de corrosion. Cette situation alarmante a eu d’importantes conséquences :
- la menace de coupures d’électricité qui a flotté au-dessus de la France durant tout l’hiver 2022-2023 ;
- la nécessité de réaliser des importations d’électricité alors que notre pays est, historiquement, exportateur en la matière.
Résultats : une année noire pour (tous) les Français… ainsi que pour EDF qui a accusé près de 18 milliards d’euros de perte pour 2022.
Le contexte de nécessaire transition écologique, pour faire face aux effets du changement climatique, explique aussi la création de cette commission parlementaire. Les figures marquantes de cette dernière sont :
- Raphaël Schellenberger, député alsacien (Les Républicains), président de la commission ;
- Antoine Armand, député de la Haute-Savoie (Renaissance), son rapporteur.
Ainsi, le rapport rédigé cherche, dans une large part, à mieux comprendre comment le nucléaire, normalement point fort du mix énergétique français, a pu sombrer à ce point en 2022.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que son constat est extrêmement sévère puisqu’il fait mention d’une « divagation politique […] qui nous a éloignés de la transition écologique et de notre souveraineté énergétique ». Depuis le milieu de la décennie 1990, il y a eu « des années d’errements, de dérives, de renoncements, de manque de courage politique doublés de calculs politiciens » dénonce les journalistes du Monde après lecture de ce rapport. La France a ainsi accumulé un « retard considérable » en ce qui concerne la production électrique, d’après Antoine Armand. La faute à « un manque de conscience du caractère stratégique de l’énergie », selon Raphaël Schellenberger.
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faire une simulationUne longue liste d’erreurs, à rectifier par 30 propositions concrètes
Le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale a donc mis le doigt sur divers dysfonctionnements, problèmes et erreurs qui ont participé à plonger notre pays dans une grave crise énergétique en 2022.
Selon ce dernier, la liste des responsables est longue. Les erreurs accumulées au fil des années ont été résumées en six points. Parmi les reproches les plus importants, on retrouve :
- l’estimation trop basse de nos besoins énergétiques ;
- la dépendance trop forte de notre pays vis-à-vis des énergies fossiles importées. Rappelons que 2022 a formé une année record en ce qui concerne les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) en Europe et en France ;
- l’opposition trop marquée entre énergies renouvelables (EnR) et nucléaire, avec le manque d’anticipation du renouvellement du parc français ;
- le manque de développement de la filière des énergies renouvelables. La France est justement l’un des pays d’Europe les plus en retard en ce qui concerne le déploiement des EnR sur son territoire ;
- la faible attention accordée, pendant longtemps, à la sobriété énergétique.
Toutes ces erreurs ont amené les responsables à manquer « de réflexion de long terme sur nos ambitions industrielles et climatiques » indique le rapport.
Le plus grave, c’est que celui-ci souligne aussi que les prises de décisions ont longtemps été prises de manière plutôt irresponsable. Sans que nos besoins énergétiques réels, ou nos capacités industrielles et financières pour les accompagner, ne soient vraiment pris en compte. Un comble dont les Français, ménages comme entreprises, ont payé les pots cassés en 2022 !
« C’est l’histoire de décisions parfois prises à l’envers, sans méthodes, sans prospectives, aux conséquences lourdes, et qui ne sauraient trouver leur source que dans l’inconscience ou l’électoralisme ». Voilà l’avis tranché et réprobateur qu’a formulé Antoine Armand le 6 avril dernier, face à la presse. Le rapport fait ainsi état que ce qui prévalait davantage alors, dans les prises de décisions énergétiques, étaient plutôt :
- les sondages d’opinion ;
- les accords électoraux ou idéologiques, qu’ils demeurent pro-nucléaires ou non.
Il s’agit donc ici d’un échec collectif dont la nécessité est d’en tirer les leçons sans attendre. Car il y a urgence. Pour le président de la commission, Raphaël Schellenberger, il faut « une prise de conscience » afin de redresser la barre.
Du côté d’Antoine Armand, le cap à tenir est le suivant : « baisse de la consommation, relance du nucléaire et développement des énergies renouvelables. C’est indispensable au niveau du mur énergétique qui nous attend ». Le rapporteur du texte a également souligné que ces trois objectifs, « il va falloir les faire ensemble, et beaucoup plus vite et mieux que ce qu’on a fait jusque-là ».
C’est pourquoi le rapport préconise que la France se dote, dès maintenant, d’une programmation énergétique de long terme. Celle-ci doit évidemment correspondre aux besoins de la population et aussi être fondée sur des objectifs crédibles, qu’ils soient de nature :
- climatique ;
- énergétique ;
- industrielle.
En ce sens, le rapport a par conséquent formulé 30 propositions afin de ne pas reproduire les erreurs passées à l’avenir. Parmi elles, certaines font déjà parler, comme :
- la suspension de l’Accès régulé de l’électricité nucléaire historique (Arenh). Le but serait de favoriser l’émergence d’une concurrence face à EDF, ce qui ne serait pas pour plaire à tout le monde ;
- la construction de nouveaux réacteurs nucléaires et la prolongation des centrales actuelles. Ce point est justement l’une des grandes volontés de l’exécutif.
La réaction du gouvernement, face à un rapport que certains jugent pro-nucléaire, n’a d’ailleurs pas tardé à se faire entendre. Agnès Pannier-Runacher a ainsi déclaré que « les propositions de ce rapport seront étudiées de manière détaillée dans les prochains jours. La ministre de la Transition énergétique a également indiqué qu’elle organiserait « des travaux la semaine prochaine pour en tenir compte ».
Reste à savoir quelles décisions politiques concrètes naîtront vraiment de ce rapport. Les Français peuvent-ils espérer que leurs représentants élus prennent (enfin) des décisions responsables qui iraient dans le sens de la sécurité énergétique de chacun ? L’avenir nous le dira.
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