Électricité : des prix négatifs toujours plus réguliers ?
Un prix de l’électricité négatif, en dessous de 0 €. Voilà ce qui a été observé au tout début du mois d’avril en France. Quelles raisons ont provoqué une telle dynamique des tarifs ? Choisir.com revient sur un épisode qui pourrait, à l’avenir, ressurgir avec une régularité accrue… Et qui n’est d’ailleurs pas forcément une bonne nouvelle, ni pour le consommateur, ni pour le marché de l’électricité.
Des prix de l’électricité négatifs en France le 1er avril dernier… avant d’autres épisodes similaires toujours plus fréquents ?
Actuellement, la technologie ne permet pas encore de stocker l’électricité à grande échelle. Les projets, comme la gigantesque batterie de sable en Finlande, ne sont pas terminés ou toujours au stade expérimental.
Cette faille explique, lorsque la production d’énergies renouvelables (EnR) est très forte et la consommation faible, pourquoi les prix de l’électricité peuvent tomber en dessous de 0 €. C’est très exactement ce qu’il s’est passé en France le 1er avril 2024 dernier, dès 14 heures. Grâce au climat doux et aux vents très intenses, la production a été si importante que l’offre est devenue excédentaire vis-à-vis de la demande. En conséquence :
- de multiples champs d’éoliennes ont été déconnectés du réseau. D’après RTE, le Réseau de transport d’électricité en France, les capacités branchées sont passées, en quelques minutes seulement, de 10 gigawatts (GW) à 5 GW ;
- de ce fait, la production électrique nationale a connu une chute marquée.
Ainsi, pour éviter les coûts de redémarrage, des tarifs négatifs ont parfois été proposés par des unités non flexibles, ce que sont notamment :
- les centrales au charbon ou au gaz ;
- les centrales nucléaires.
Ce phénomène, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’est pas forcément une bonne nouvelle pour le consommateur. Il est aussi le sujet de préoccupation de nombreux professionnels. La raison : il pourrait être amené à se régulariser à l’avenir, dans la logique de transition énergétique à réaliser au niveau européen et mondial. Dans cette optique, la France, de même que d’autres États de la planète, installe de plus en plus de capacités d’EnR. Si le compte n’y est toujours pas au niveau du déploiement de ces énergies renouvelables dans notre pays, il est indéniable que cette dynamique est bel et bien enclenchée, d’un point de vue hexagonal comme continental. En effet :
- les renouvelables ont représenté plus de 30 % de la consommation électrique en France en 2023, niveau encore jamais atteint ;
- l’éolien a produit plus d’électricité que le gaz en Europe en 2023, ce qui forme là aussi une première historique.
Toutefois, le défaut principal de la production de l’électricité verte, souvent décriée par ses opposants, est son intermittence. Le niveau de production des éoliennes ou de l’énergie solaire dépend en effet des conditions climatiques et météorologiques, en fonction de l’intensité du vent, du soleil…
Et cette discontinuité naturelle n’a pas qu’un impact sur la quantité d’énergie produite. Elle en a en fait aussi un sur son prix, le rendant encore plus volatil… y compris pour le consommateur.
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faire une simulationLa crainte de conséquences néfastes sur les tarifs comme sur le marché de l’électricité
Mathieu Pierzo, directeur marchés de l’électricité chez RTE, nous explique pourquoi la plongée dans des prix de l’électricité négatifs peut avoir une incidence négative. Ce genre d’épisode s’accompagne de l’arrêt des infrastructures énergétiques, pour éviter qu’elles ne tournent à perte. Pour une éolienne, il n’y a pas de trop grande difficulté à la débrancher ou à la rebrancher au réseau. Cependant, « si l’on arrête d’autres installations, comme les centrales au gaz, au charbon, au nucléaire, ce n’est pas évident de les faire repartir », indique-t-il.
Par conséquent, « si celles-ci ne peuvent pas réduire leur production [comme le fait régulièrement le nucléaire], elles préféreront payer pour continuer à produire ». Comprenez « payer quelqu’un sur le marché pour lui prendre cette énergie, afin d’éviter de couper sa centrale ». Voilà la précision apportée par Corentin Sivy, directeur stratégie et business chez l’exploitant de parcs d’énergies renouvelables BayWa r.e France.
Ici, les productions concernées sont celles d’électricité renouvelable. Les acteurs sous contrat avec l’État, c’est-à-dire une énorme majorité, bénéficient d’une prime à l’arrêt. Cette dernière prévoit leur rémunération s’ils « n’ont pas injecté dans le réseau lors des heures de prix négatifs », fait observer Corentin Sivy.
Ce type de moments intervient en réalité plusieurs fois chaque année, représentant une centaine d’heures environ par an. En début d’année, RTE jugeait même que « la France a connu, en 2023, un nombre inédit d’épisodes de prix négatifs ». Et cette périodicité risque encore, à l’avenir, de devenir de plus en plus fréquente. Les volumes à couvrir seront toujours plus importants et cela impactera directement les ménages. Pour l’économiste et spécialiste du marché de l’électricité Jacques Percebois, « ce que le consommateur gagnera quand les prix seront négatifs, il le perdra à travers la compensation au producteur ».
L’avenir même de ce marché de l’électricité interroge aussi vivement les acteurs concernés. Avec une consommation électrique qui va connaître une forte hausse d’ici 2035, les investissements à réaliser pour répondre à ces besoins seront colossaux. Or, aux yeux de Corentin Sivy, cela risque d’être « de plus en plus compliqué de les rentabiliser » si les épisodes de prix négatifs deviennent structurels. Il s’agit donc tout simplement de « l’énorme sujet qui nous agite tous », concède-t-il.
Le problème du coût marginal face à la nécessaire évolution des habitudes de consommation des foyers
Le principe du coût marginal, qui s’applique au marché de l’électricité, va sans doute aussi être une source de problème d’après les spécialistes. En quoi ce système consiste-t-il exactement ?
Pour répondre à la demande, variable, en électricité, les sites de production sont appelés dans l’ordre croissant de leur coût de fonctionnement. Ainsi, le prix final du mégawattheure (MWh) est déterminé en fonction de la dernière centrale utilisée, logiquement la plus chère, et souvent une unité fossile. C’est donc ce tarif que l’on nomme le coût marginal.
L’action environnementale induit le remplacement des centrales thermiques à charbon et à gaz par les énergies renouvelables, dont la volatilité de la production risque de provoquer plus d’épisodes de prix négatifs. Or, avec cette disparition programmée et souhaitée d’un point de vue écologique, ce modèle du coût marginal pourrait ne plus fonctionner. Pourquoi ? Car alors, en France, « la centrale marginale sera le nucléaire », note Jacques Percebois. Les coûts variables de ces infrastructures décarbonées étant plus faibles, elles risquent donc, selon lui, « de tourner à perte ».
Une réforme du marché européen de l’électricité vient d’ailleurs d’être adoptée par le Parlement de l’Union européenne (UE). Il ne prévoit toutefois pas la fin du principe du coût marginal. Les effets de son application pourraient être, à l’avenir, de provoquer d’énormes variations des prix lors des pics de consommation.
La solution pour éviter cela serait de « déplacer de la consommation pour la mettre en face de ces heures de fortes productions décarbonées ». Voilà ce que pense Mathieu Pierzo. Néanmoins, l’application de cette solution implique donc un changement de comportement et d’usage des consommateurs. L’intérêt : mieux « gérer les bosses et les creux » de la production.
Cette nouvelle façon de consommer pourrait « faire baisser le coût global du système » jugeait, en octobre 2023, le président de RTE Xavier Piechaczyk. Il y a 40 ans, la création des tarifs heures pleines et heures creuses s’expliquait déjà par ce souci de lissage de la consommation. En 2023, « 15 millions de consommateurs sur une assiette de 39 millions » avaient souscrit à cette option, selon Xavier Piechaczyk. Le changement des mentalités et des habitudes des Français est ainsi une évolution qui doit encore s’affirmer dans le temps. Ce serait l’une des clés pour ne pas trop subir les conséquences des futures périodes de prix négatifs comme les aspects néfastes du marché.
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